Malgré la menace de la pandémie du COVID-19, le travail de la FAO en Syrie continue en aidant notamment les agriculteurs à cultiver de la nourriture et à se relancer

Q&R avec Mike Robson, représentant de la FAO en Syrie

Un partenaire de la FAO forme des agriculteurs à l’installation de pépinières basses pendant la pandémie du COVID-19.

©Photo: ©FAO/Sheam Kaheel

29/04/2020

Depuis 2011, la Syrie connaît des troubles politiques et une instabilité extrême. Qu'en est-il actuellement, surtout pour les communautés rurales ?

La Syrie était l'un des dix pays les plus touchés par l'insécurité alimentaire aigüe en 2019, avec au moins 35 pour cent de sa population en situation de crise alimentaire.

Malgré cela, la population syrienne est résiliente et, même à l'apogée de la crise, les agriculteurs ont continué à cultiver le blé, la principale culture du pays.

Des signes positifs ont été enregistrés cette année, ainsi qu'un retour à la normale. La paix a été restaurée dans beaucoup de parties du pays et les pluies ont été bénéfiques jusqu'ici. Les agriculteurs ont ensemencé 70 pour cent des terres allouées à la production de céréales.

Toutefois, pour un grand nombre - la plupart de ceux qui ont fui leur village à cause du conflit - les dommages causés aux infrastructures (par exemple, les systèmes d'irrigation) et les pertes des autres services de base ont empêché le retour des agriculteurs chez eux. Ceci est particulièrement vrai dans l'est de la Syrie. De plus, ceux qui ont pu revenir se sont retrouvés sans les semences ni les intrants nécessaires pour mener à bien leurs cultures tandis que la majeure partie des tracteurs et du matériel de pompage leur ont été volés, pillés ou vandalisés.

La FAO a fait appel à ses différents programmes pour fournir des semences à près de 15 000 familles cette année, en ciblant les plus vulnérables telles que les personnes déplacées localement et qui sont revenues), ce qui a permis à chaque famille d'ensemencer un hectare de blé - dont la moitié suffit aux besoins d'une famille pour un an en moyenne - et de vendre leur surplus. Mais notre expérience sur le terrain au nord-est de Hama, au Centre-Ouest de la Syrie, nous a montré que beaucoup d'autres familles étaient dans le besoin. Par exemple, dans un village où nous avons aidé 200 familles, parmi les plus vulnérables, il est apparu évident que l'ensemble des 3 000 familles avaient également besoin d'aide.

Ailleurs, à Deir-ez-Zor, près de la frontière avec l'Irak, où nous restaurons les systèmes d'irrigation pour alimenter en eau quelques 5 000 ménages, des dirigeants du village ont souligné le besoin urgent de mettre en place des programmes de développement/relance pour aider les efforts de reconstruction visant à maintenir la paix et la stabilité sociale, et dont dépend l'avenir des jeunes en zones rurales ainsi que leur capacité à vivre de l'agriculture.

Comment la pandémie pourrait contribuer à aggraver la situation ? Quelles sont les personnes les plus en danger?

À ce jour, nous n'avons que quelques cas de COVID 19 confirmés dans le pays - mais peu de tests ont été effectués - toutefois les facteurs de risque sont élevés et l'infrastructure médicale aurait du mal à faire face à une épidémie de grande ampleur. Les conséquences d'une longue période de confinement seraient encore plus graves pour l'économie et pour la sécurité alimentaire et les moyens d'existence déjà précaires de milliers de personnes. La pandémie fait office de véritable tempête pour la population syrienne.

Le pays a décrété un couvre-feu de six heures du soir à six heures du matin et mis en place des mesures visant à restreindre la liberté de circulation et, ces derniers mois, des espaces publics ont été fermés. Le secteur des services et les travailleurs à la journée souffrent en ce moment même, et certains faits attestent que les difficultés sont extrêmes aussi bien dans les zones urbaines que dans les zones rurales.

La FAO s'inquiète surtout des effets que les restrictions auront sur l'agriculture et l'accès à la nourriture. Nous assistons déjà à une hausse des prix, due tantôt à des difficultés d'importation tantôt à l'opportunisme des commerçants. Par exemple, ces dernières semaines, le prix des pesticides a connu une hausse de 100 pour cent à Hama. À Homs, ces deux dernières semaines, le prix d'un paquet de graines de tomates est passé de 25 à 31 dollars américains.

Par ailleurs, nos collègues du Programme alimentaire mondial (PAM) ont effectué un suivi des prix alimentaires ces derniers mois et ont enregistré une hausse de 21 pour cent du prix du panier alimentaire type (soit ce qu'un ménage achèterait en moyenne pour un mois) et ce, uniquement pour le mois de mars.

De même, les petits éleveurs ne peuvent ni déplacer leurs bêtes vers les pâturages ni leur acheter de la nourriture. Les marchés où ils auraient pu vendre leurs animaux sont fermés ou soumis à des mesures de restriction. Le commerce de la volaille a lui aussi été frappé par la hausse des prix de la nourriture animale et par l'effondrement de la demande de la part des restaurants.

En fait, les moyens d'existence d'environ 1,2 million de familles d'agriculteurs du pays subissent d'une manière ou d'une autre les conséquences des efforts de la lutte contre le COVID-19, qui sont toutefois perçues différemment à travers le pays.

De quoi les communautés vulnérables ont-elles le plus besoin aujourd'hui face à la menace d'une pandémie?

La priorité absolue est de donner à la population la possibilité de maintenir ses moyens d'existence et de rester autonome. Nous devons aussi renforcer les messages clés de santé publique au sein de nos programmes. De plus, il est urgent que nous apportions aux agriculteurs des semences pour leurs semis (à l'approche des cultures estivales puis pour les hivernales et les légumes) ainsi que des aliments pour leurs animaux.

La FAO est-elle en mesure de poursuivre ses actions dans de telles circonstances? Si oui, qu'avez-vous modifié dans vos activités et celles de votre équipe?

Le personnel de la représentation de la FAO en Syrie a très vite adopté la solution du télétravail mais nous avons fait en sorte que certains éléments clés du programme continuent de fonctionner.

Par exemple, nous aidons les agriculteurs à construire des «abris bas» pour la production de plants de légumes, ou à réparer ou construire des systèmes d'irrigation pour leurs terres agricoles. Chaque abri bas (2 x 10 m.) permet de produire suffisamment de plants de légumes (tomates, poivre, concombres, et aubergines) pour une dizaine de ménages. Les serres fonctionnent à partir d'une irrigation par aspersion qui permet d'économiser l'eau. Grâce à la production de légumes, nous estimons que chaque agriculteur devrait obtenir un revenu additionnel d'environ 1 000 dollars américains chaque année. Cette saison, la création des abris bas profitera directement à 700 agriculteurs et fournira des plants de légumes de bonne qualité à plus de 7 000 d'entre eux, un chiffre qui devrait s'accroître considérablement l'année prochaine ou d'ici les deux prochaines années.

Durant toutes ces activités, la distanciation physique est respectée par tous et, le cas échéant, le port d'un masque est adopté.

Nous avons également abandonné la formation en classe et préféré une formation à l'air libre en plus petits groupes. Nous utilisons des groupes WhatsApp et des pages Facebook pour dialoguer et partager des informations - des vidéos par exemple - avec les personnes de nos groupes de producteurs de semences et de nos programmes d'entrepreneuriat.

Comment fonctionnent ces nouvelles initiatives? Continueront-elles après le COVID 19?

Nous nous acheminons rapidement vers une FAO Syrie plus numérique! Cela sert non seulement à combattre le virus mais aussi à réduire à l'avenir le coût de nos voyages et notre empreinte carbone! Je travaille à pérenniser ces innovations, quoique toutes les technologies ne fonctionnent pas aussi bien en Syrie que dans d'autres pays - nous venons à peine de réussir notre première rencontre sur Zoom, avec l'aide de nos collègues du bureau régional et au siège.

Quels sont les principaux défis que la FAO doit relever aujourd'hui ?

Le premier défi est d'arriver à trouver dans l'immédiat les financements nécessaires pour nos programmes.

Jusqu'ici, les donateurs ont bien compris les obstacles auxquels nos activités sont confrontées aujourd'hui et nos principaux soutiens ont bien saisi l'importance de notre travail, surtout pendant la pandémie du COVID-19.

Vous êtes en Syrie depuis juillet 2018, et vous avez travaillé dans d'autres pays particulièrement difficiles. En quoi la situation actuelle est-elle différente?

En ce moment, la principale différence sont les mesures liées à la restriction de la liberté de circulation qui ont été décrétées afin de lutter contre la diffusion du COVID 19. Mais la Syrie n'est pas la seule dans cette situation.

Ici, à Damas, les membres de notre personnel international vivent dans un hôtel avec d'autres collègues des Nations Unies. Pour les aider à vivre ce moment difficile, nous leur avons acheté une table de ping-pong juste avant le début du confinement. C'est un excellent moyen d'évacuer le stress à la fin de la journée et un jeu qui peut être pratiqué en toute sécurité - en gardant ses distances. Mahmoud, notre expert égyptien en entrepreneuriat, s'est avéré être un très bon entraîneur. 

Contacts

Adel Sarkozi FAO Media Relations (Rome) (+39) 06 570 52537 [email protected]