Les promesses de la production animale durable

Entretien avec le Directeur de la Division de la production et de la santé animales de la FAO, M. Thanawat Tiensin

Le Directeur de la Division de la production et de la santé animales de la FAO, M. Thanawat Tiensin, lors de la Conférence mondiale de la FAO sur la transformation de l’élevage dans une optique de durabilité.

©FAO/Giuseppe Carotenuto

26/09/2023

Rome – La toute première Conférence mondiale sur la transformation de l’élevage dans une optique de durabilité se déroule cette semaine à Rome au siège de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Elle offre aux parties prenantes un espace de dialogue neutre afin de réfléchir à des approches innovantes pour produire des aliments d’origine animale nutritifs de manière efficace et respectueuse de l’environnement. Elle vise à renforcer les systèmes d’élevage locaux résilients, conformément à l’engagement de la FAO de contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable.

Les thèmes principaux de la manifestation sont les suivants: amélioration des systèmes de production animale, amélioration de la qualité nutritionnelle des aliments d’origine animale, mise en œuvre de solutions pour des élevages plus respectueux de l’environnement et amélioration des conditions de vie, notamment chez les petits éleveurs.

La Conférence jouera un rôle décisif pour penser la production animale durable de demain. Elle devrait apporter une contribution notable aux échanges internationaux relatifs à l’agriculture durable et à la lutte contre le changement climatique.

Mais qu’entend-on par «production animale durable»? À l’approche de la Conférence, nous avons interrogé le Directeur de la Division de la production et de la santé animales de la FAO, M. Thanawat Tiensin, pour en savoir plus sur ces pratiques et le chemin à parcourir.

Que recouvre la production animale durable? Pourquoi est-elle essentielle pour les systèmes agroalimentaires et les économies nationales?

La production animale est une composante essentielle des systèmes agroalimentaires. Elle fournit des nutriments indispensables, des moyens de subsistance et des débouchés à des millions de personnes dans le monde. Toutefois, le secteur de l’élevage doit relever plusieurs défis complexes. Il a fait l’objet de critiques variées, s’agissant notamment de la dégradation de l’environnement, de l’appauvrissement de la biodiversité et de ses répercussions sur le changement climatique.

La population mondiale devant friser les 10 milliards d’individus d’ici à 2050, la demande mondiale en aliments d’origine animale, comme la viande, les œufs et les produits laitiers, devrait augmenter en parallèle de 20 pour cent. La production animale durable regroupe les pratiques visant à élever des animaux tout en réduisant le plus possible les effets préjudiciables sur l’environnement.

La production animale durable contribue à la pérennité des systèmes agroalimentaires, protège les ressources naturelles, accroît la résilience économique et va dans le sens de plus de durabilité et de résilience. Elle aide également à augmenter la productivité, réduire les coûts de production et gagner en compétitivité, ce qui profite à la croissance économique et au développement rural.

Comment la production animale peut contribuer à la transformation des systèmes agroalimentaires et aller dans le sens de l’action climatique? Comment la FAO aide les pays en ce sens?

La production animale est une composante essentielle des systèmes agroalimentaires. Pour augmenter la productivité tout en réduisant l’impact, nous devons d’abord mettre l’accent sur le renforcement de l’efficacité des systèmes d’élevage. Il convient à cet effet d’optimiser l’efficience alimentaire, de réduire les déchets alimentaires, d’améliorer l’utilisation des nutriments, de réduire le plus possible la dégradation des terres et des ressources en eau, de faire chuter les émissions de gaz à effet de serre et de limiter la dégradation de l’environnement. De plus, il faut accorder une attention prioritaire à l’adoption de pratiques climato-intelligentes dans les domaines de l’agriculture et de l’élevage.

Une gestion efficace des effluents d’élevage peut permettre de fortement réduire les émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, intégrer des arbres aux systèmes de production animale dans le cadre de l’agroforesterie, de l’agroécologie et des systèmes agrosylvopastoraux peut produire de multiples bénéfices. Les systèmes sylvopastoraux, qui comprennent les arbres, les cultures fourragères et les animaux d’élevage, favorisent la biodiversité et le stockage du carbone.

La FAO joue un rôle capital en aidant les pays de diverses manières à aller dans le sens d’une production animale durable et à agir pour le climat. Elle apporte une assistance technique pour élaborer et mettre en œuvre des politiques et des stratégies en faveur d’une production animale durable, qui englobent des pratiques climato-intelligentes. Elle propose également des programmes de formation et des ateliers pour sensibiliser les agriculteurs, les agents de vulgarisation et les responsables de l’élaboration des politiques à des pratiques de production animale adaptées au climat.

La FAO encourage aussi l’échange de connaissances et d’expériences entre les pays, en mettant l’accent sur les pratiques optimales et réussites relatives à la production animale durable et à l’atténuation du changement climatique. Elle soutient la recherche et l’innovation en matière de systèmes de production animale, notamment le développement et la diffusion de techniques et de pratiques climato-intelligentes.

Quelle est le poids des aliments d’origine animale dans une alimentation saine?

Les aliments d’origine animale jouent un rôle crucial car ils fournissent des nutriments essentiels indispensables pour la santé humaine. Toutefois, il est important de souligner qu’il est possible de se nourrir sainement en ayant recours à diverses sources alimentaires, y compris des produits d’origine végétale. Pour assurer notre bien-être et avoir une alimentation riche en nutriments, nous devons trouver l’équilibre dans notre consommation entre les aliments d’origine animale et les aliments d’origine végétale.

Les aliments d’origine animale, tels que la viande, les œufs et les produits laitiers, sont une excellente source de protéines de grande qualité, essentielles pour la croissance, la régénération des tissus et la production d’enzymes et d’hormones. Ces aliments sont également riches en nutriments essentiels: vitamines, minéraux et acides gras essentiels. De plus, ils contiennent souvent des nutriments que le corps humain peut tout de suite absorber et utiliser, contrairement aux aliments dérivé de plantes.

De plus, ils fournissent tous les acides aminés essentiels dont le corps a besoin pour plusieurs processus physiologiques.

Quels sont les principaux défis rencontrés actuellement par les petits éleveurs?

Les petits éleveurs doivent relever de nombreux défis. Il est impératif de les accompagner car cela a une forte incidence sur l’amélioration des conditions de vie en milieu rural, la sécurité alimentaire et le développement durable dans de nombreux pays et régions. Pour bien traiter ces défis, il convient d’intervenir de manière globale: amélioration de l’accès aux ressources, fourniture d’une aide financière et technique, renforcement des liens avec le marché, appui de la résilience climatique et amélioration des services de santé animale.

Les petits éleveurs se débattent souvent avec un accès limité à des ressources essentielles comme la terre, l’eau et d’autres ressources naturelles, ce qui peut limiter leur capacité à augmenter leur production et leur productivité. Ils rencontrent fréquemment des difficultés pour obtenir les ressources financières et les prêts nécessaires pour investir dans leur activité. Ces limites financières rendent plus difficile d’acquérir des intrants agricoles de qualité, de rénover les installations et d’adopter des technologies de pointe.

De plus, de nombreux petits éleveurs n’ont pas un accès suffisant à la formation, aux services de vulgarisation et à un appui technique. Cela limite leur capacité à adopter des pratiques durables et contemporaines, ce qui nuit à leur productivité et à leur efficacité.

Ils sont aussi particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique et aux catastrophes naturelles. Des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les sécheresses et les inondations, peuvent conduire à la perte d’animaux, à un manque d’aliments pour les animaux d’élevage et à l’augmentation des risques de maladie.

Les petits éleveurs sont souvent en proie à des difficultés liées à l’accès aux marchés, à la négociation de prix justes et à la concurrence des grands éleveurs. Ils sont nombreux à peiner à mettre en place des pratiques pour assurer la santé des animaux et lutter contre les maladies. La disponibilité limitée des services vétérinaires, des vaccins et des outils diagnostiques accentue le risque d’épidémies et nuit à la productivité.

Pouvez-vous nous expliquer l’approche «Une seule santé» et les liens entre santé humaine et animale?

L’approche «Une seule santé» consiste en une démarche collaborative et holistique qui prend en compte les liens entre la santé des êtres humains, des animaux et de l’environnement.

Nous avons besoin d’une approche multidisciplinaire et multisectorielle pour que les parties prenantes résolvent des problèmes sanitaires à l’interface entre l’humanité, le monde animal et l’environnement. Il est important de collaborer, de partager des données, d’assurer une surveillance et de prendre des décisions ensemble pour prévenir les maladies et lutter contre ces dernières. Cette approche promeut aussi la durabilité des systèmes agroalimentaires et de la production animale dans le respect de la santé publique.

La santé humaine et la santé animale sont intimement liées de diverses manières. Par exemple, les zoonoses peuvent passer de l’animal à l’homme comme l’ont montré les récentes épidémies de covid-19, d’Ebola et de grippe aviaire. La transmission peut se faire par contact direct, par la consommation de nourriture ou d’eau contaminée, ou encore par l’intermédiaire de vecteurs, par exemple les moustiques et les tiques. Maîtriser les zoonoses demande de bien comprendre leur origine au sein de la population animale. De plus, la mauvaise utilisation et l’abus d’antibiotiques dans la production animale peut participer au développement de résistances aux antimicrobiens, ce qui peut ensuite avoir des conséquences à la fois sur la santé humaine et animale.

Cela peut nuire à l’économie au niveau planétaire. De plus, les activités humaines et animales peuvent contaminer l’environnement. Par exemple, la pollution de l’eau et des sols provient souvent des eaux de ruissellement agricoles ou d’une mauvaise élimination des déchets. Cette contamination peut être nocive pour la santé humaine et animale et provoquer des maladies ou d’autres problèmes sanitaires. La sécurité sanitaire des aliments est étroitement liée à la santé animale, puisque les maladies animales peuvent se transmettre à l’humain par la voie d’aliments contaminés. Garantir la santé et le bien-être des animaux dans toute la chaîne de production alimentaire est donc capital.

Pouvez-vous nous en dire plus au sujet de la Conférence mondiale et des résultats escomptés?

La Conférence mondiale sur la transformation de l’élevage dans une optique de durabilité est une étape importante dans notre démarche de réflexion collective au sujet des défis et des promesses du secteur de l’élevage et des systèmes agroalimentaires. Nous allons traiter une question brûlante: comment augmenter la production animale tout en réduisant le plus possible son empreinte environnementale. Les résultats de la Conférence seront débattus au Sous-Comité de l’élevage du Comité de l’agriculture.

De plus, cette Conférence permettra de réfléchir aux actions à entreprendre pendant les prochaines décennies pour transformer l’élevage dans une optique de durabilité. La 28e session de la Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques («COP 28») venant après, nous aurons une occasion précieuse de mettre en avant nos conclusions et de transmettre des messages clés. Nous allons enrichir la perception mondiale de la production animale durable et de son rôle crucial pour atténuer le changement climatique et s’adapter à ses effets.

La Conférence jouera un rôle essentiel pour faire avancer la production animale durable et promouvoir des approches holistiques qui tiennent compte des aspects environnementaux, sociaux et économiques dans les systèmes d’élevage.

Je me permets de vous signaler que la FAO a publié aujourd’hui une étude approfondie sur les émissions de méthane provenant des systèmes d’élevage et de riziculture. En 2024, nous célébrerons l’Année internationale des camélidés. Certains détails seront débattus pendant la 28ᵉ session de la Conférence des parties.

Contacts

Laura Quinones [email protected]

FAO Newsroom (+39) 06 570 53625 [email protected]