«En cas de pénurie d’eau, il y a moins d’eau à consacrer à la production agricole, donc moins de nourriture disponible, ce qui menace la sécurité alimentaire et la nutrition»

Entretien avec Li Lifeng, Directeur de la Division des terres et des eaux de la FAO

Li Lifeng, Directeur de la Division des terres et des eaux de la FAO

©FAO/Alessandra Benedetti

21/03/2023

Rome – En amont de la Conférence des Nations Unies sur l’eau de 2023, et dans le prolongement de la 2e édition du Forum international du Cadre mondial contre la pénurie d’eau dans l’agriculture (WASAG), M. Li Lifeng, Directeur de la Division des terres et des eaux de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), nous parle de l’un des plus pressants défis que l’humanité doit affronter à l’échelle planétaire: la pénurie d’eau.  

1. Quelle est l’urgence de la question de la pénurie d’eau dans le monde aujourd’hui? 

La pénurie d’eau est exacerbée par le changement climatique et la croissance de la population mondiale, qui augmentent la concurrence pour une ressource en raréfaction, dont la disponibilité est de plus en plus aléatoire. Le changement climatique se traduit par une imprévisibilité des régimes pluviométriques et par de nouveaux extrêmes ou pics de sécheresses et d’inondations, si bien qu’il est difficile de recourir à la planification conventionnelle des ressources en eau pour répondre à la demande croissante dont elles font l’objet. Étant donné que l’eau est indispensable à la vie et qu’elle joue un rôle central dans l’équilibre à trouver entre efficacité économique, durabilité environnementale et équité sociale, il est urgent de prendre les mesures nécessaires. Et le meilleur moyen d’y parvenir est de procéder de manière concertée et collaborative.  

2. Dans quelle mesure la pénurie d’eau a-t-elle une incidence sur l’agriculture et la sécurité alimentaire ? 

L’eau est un intrant clé de la production agricole – selon les cultures, les besoins en eau pour une croissance optimale sont différents. De plus, l’agriculture joue un rôle essentiel dans l’équation, puisqu’elle est responsable d’environ 70 pour cent des prélèvements d’eau douce. En cas de pénurie d’eau, il y a moins d’eau à consacrer à la production agricole, donc moins de nourriture disponible, ce qui menace la sécurité alimentaire et la nutrition. Sachant que la population mondiale atteindra environ 9 milliards d’habitants en 2050, la pénurie d’eau représente à l’évidence une réelle menace pour la sécurité alimentaire, car il faudra produire davantage de nourriture avec des ressources en eau limitées.

3. Quels types de pénurie d’eau sont susceptibles de frapper les différentes régions? 

En règle générale, les pays sont confrontés à une pénurie d’eau soit physique, soit économique. On parle de pénurie d’eau physique lorsque la demande d’eau dépasse les ressources en eau naturellement disponibles dans la région concernée, sous forme d’eaux de surface, d’eaux souterraines ou de précipitations. La pénurie d’eau dite économique survient généralement dans des régions où, malgré l’abondance des ressources en eau, il n’existe pas d’infrastructures adaptées pour les rendre disponibles afin de répondre aux différents besoins de la production d’électricité, de la production industrielle, de l’exploitation minière, de l’approvisionnement en eau domestique et de l’agriculture, entre autres. Les habitants des régions arides et semi-arides, qui connaissent des pénuries d’eau physiques de par leur environnement naturel, ont souvent mis au point des solutions ingénieuses, en apprenant à maîtriser l’eau pour l’acheminer depuis sources éloignées, et ont recours à des méthodes d’irrigation efficaces ainsi qu’à d’autres pratiques, telles que le dessalement de l’eau de mer ou le captage des eaux souterraines, le cas échéant.  

En raison du changement climatique, qui perturbe les régimes pluviométriques saisonniers, les pays qui dépendaient jusqu’ici exclusivement de l’agriculture pluviale connaissent désormais des périodes de pénuries d’eau physiques, dues à des précipitations irrégulières qui dérèglent les saisons de plantation habituelles, entraînant des mauvaises récoltes récurrentes et, partant, une situation d’insécurité alimentaire. Il devient nécessaire de stocker l’eau pour apporter une irrigation complémentaire. Afin de faire face à ce changement climatique, il convient d’adopter de nouvelles approches, en recourant par exemple à des espèces cultivées résistantes à la sécheresse ou à des cultures intercalaires, soit des cultures de couverture (certains types de légumineuses, par exemple) qui servent à maintenir plus longtemps l’humidité du sol et permettent ainsi aux cultures de base visées (comme le maïs) de poursuivre leur croissance lorsque les précipitations se sont arrêtées.  

Progressivement, toutes les régions auront besoin de stocker de l’eau afin de pouvoir apporter une irrigation complémentaire pour compenser le déficit croissant d’irrigation des cultures, dû à des précipitations irrégulières ou imprévisibles.  

4. Quel rôle la FAO est-elle appelée à jouer pour résoudre le problème de la pénurie d’eau à l’échelle mondiale? 

La FAO est appelée à jouer un rôle important pour résoudre le problème de la pénurie d’eau à l’échelle mondiale et en particulier dans le secteur de l’agriculture. Par exemple, au niveau régional, dans le cadre de l’Initiative régionale sur la pénurie d’eau au Proche Orient et en Afrique du Nord (région touchée par la pénurie d’eau physique), elle a aidé les pays de plusieurs manières, notamment en mettant en place une comptabilité et un audit de l’eau, en procédant à un examen des ressources en eau, en déterminant dans quelle mesure il était possible d’améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’eau dans l’agriculture, et en faisant un bilan des politiques et mécanismes institutionnels à l’appui de la gestion des ressources en eau. 

Dernièrement, la Plateforme technique interrégionale de la FAO sur la pénurie d’eau a été créée dans le but de porter à leur maximum les synergies entre les différentes initiatives régionales en s’appuyant sur une supervision à l’échelle mondiale. La FAO héberge en outre le Cadre mondial contre la pénurie d’eau dans l’agriculture (WASAG), qui rassemble plus de 70 partenaires représentant des pays et des organisations intergouvernementales, des institutions des Nations Unies, des universités et des instituts de recherche, la société civile, des organisations non gouvernementales, des entités du secteur privé et des associations professionnelles. Ensemble, depuis 2017, le rôle fédérateur de la FAO est pleinement exploité par tous ces acteurs qui s’emploient, sur la base du volontariat, à trouver des solutions collaboratives. 

5. Lors d’une récente réunion du Groupe Afrique à Rome, les représentants permanents des pays du continent auprès de la FAO se sont particulièrement intéressés à l’incidence que pouvait avoir le Cadre mondial contre la pénurie d’eau dans l’agriculture en Afrique. Qu’en pensez-vous?  

Les représentants permanents du Groupe Afrique auprès de la FAO ont raison de reconnaître la gestion de l’eau comme un enjeu important pour l’Afrique: en Afrique, seulement 6 pour cent des ressources en eau douce disponibles sont stockées derrière des barrages, ce qui expose le continent aux aléas du changement climatique et à des périodes de pénuries d’eau physiques. La 2e édition du Forum international du Cadre mondial contre la pénurie d’eau dans l’agriculture (WASAG) qui a été organisée à Praia (Cabo Verde), a bénéficié de la participation de pays africains, ainsi que de l’Union africaine et du Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS). L’Union africaine, partenaire actif du WASAG, participe à ses groupes de travail sur l’eau et la nutrition et sur l’utilisation durable de l’eau dans l’agriculture. Elle a demandé au WASAG de faciliter la formation concernant les lignes directrices relatives aux systèmes d’irrigation sous pression, pour répondre au besoin croissant d’irrigation complémentaire en Afrique. Le CILSS, reconnaissant l’importance de la problématique de la pénurie d’eau, s’est par ailleurs engagé (par l’intermédiaire de son Secrétaire Exécutif, M. Abdoulaye Mahamadou) à organiser les futures manifestations du WASAG, en coopération avec le Gouvernement de Cabo Verde, et à participer aux efforts de recherche collaborative de solutions susceptibles de contribuer au mandat du CILSS.  

On notera l’adoption par le Forum de l’Appel à l’action de Praia, par lequel tous les pays membres sont invités à devenir partenaires du WASAG. 

6. Quels sont les objectifs du WASAG? 

La vision du WASAG est celle d’un monde où les systèmes alimentaires sont sûrs et résilients face à la pénurie d’eau, qui ne fait que croître, dans le contexte du changement climatique. Le WASAG a pour vocation d’aider à obtenir des avancées mesurables et significatives s’agissant d’améliorer les systèmes agricoles et de les adapter aux conditions imposées par la pénurie d’eau et le changement climatique, en s’appuyant à la fois sur le savoir-faire et les ressources des partenaires. Ses objectifs sont d’œuvrer d’urgence aux actions ci-après, qui revêtent une importance et une pertinence considérables aux niveaux international et national: 

  • promouvoir le caractère prioritaire de la question de la pénurie d’eau au sein des politiques; 
  • coopérer à l’élaboration de programmes de travail; 
  • partager et diffuser les connaissances et l’expérience;  
  • mettre au point des solutions nouvelles et améliorées;  
  • promouvoir une gestion des ressources en eau durable et intégrée; 
  • renforcer les capacités des partenaires, des pays et des autres parties prenantes; 
  • contribuer à la cohérence des systèmes de suivi.  

Les travaux du WASAG contribuent directement au Programme de développement durable à l’horizon 2030 et aux objectifs de développement durable (ODD), ainsi qu’à l’Accord de Paris sur le climat. 

7. Estimez-vous que le WASAG a réussi à remplir ses objectifs cette année? Quelles solutions concrètes ont été proposées lors de son Forum? 

Cette année, le WASAG a posé plusieurs jalons et apporté différentes solutions concrètes. Lors de la 2e édition de son Forum international, par l’intermédiaire de l’Appel à l’action de Praia, les participants: 

  • ont accepté l’offre du Gouvernement de Cabo Verde de faire de Praia la capitale du WASAG. En effet, Cabo Verde et ses habitants, qui incarnent parfaitement la résilience et la recherche de solutions face à la problématique de la pénurie d’eau, offrent un exemple à suivre pour d’autres pays confrontés à la pénurie d’eau dans des conditions similaires ou moins difficiles;
  • ont adopté 17 actions, toutes pertinentes, qu’il s’agisse de mobiliser le soutien offert par les politiques ou de promouvoir le sentiment d’adhésion nationale, tout en multipliant les initiatives collaboratives entre les pays et en adoptant des approches axées sur la collaboration internationale et intersectorielle et la multidisciplinarité; 
  • ont adopté des mesures spécifiques concernant les mécanismes de financement innovants; les actions menées à l’initiative des agriculteurs, et notamment des jeunes; les technologies inclusives; l’agriculture numérique; le couplage des problématiques de gestion de l’eau dans le domaine agricole et d’alimentation et de nutrition en lien avec l’eau, l’assainissement et l’hygiène (EAH); l’agriculture en zones arides; l’agriculture biosaline; la gestion des migrations, etc. 

8. À quelles réalisations la Conférence des Nations Unies sur l’eau de 2023 peut-elle contribuer? 

La Conférence des Nations Unies sur l’eau de 2023 est un appel à l’action lancé à chacun des habitants de la planète en vue d’accélérer le changement pour résoudre la crise de l’eau dans le monde. Elle marque un moment décisif où les gouvernements et les décideurs sont appelés à prendre, en concertation, des mesures et des engagements en vue d’atteindre les cibles et objectifs convenus au niveau international dans le domaine de l’eau, notamment ceux du Programme de développement durable à l’horizon 2030. C’est la manifestation la plus importante jamais organisée depuis une génération dans le domaine de l’eau, la première en son genre depuis près de 50 ans. 

La FAO participera activement, en tant qu’organisatrice, organisation associée ou entité de soutien, à plus de 35 manifestations dans le cadre de la Conférence. On trouvera de plus amples informations sur la page web consacrée à la participation de la FAO à la Conférence des Nations Unies sur l’eau de 2023. 

Contacts

Sreya Banerjee FAO Actualités et Médias (Rome) [email protected]

FAO Newsroom (+39) 06 570 53625 [email protected]