Quand Zarnigor s’est retrouvée face à l’immense défi de subvenir seule aux besoins de sa famille, elle s’est lancée dans l’apiculture, activité qu’elle a apprise avec son père. ©FAO / Umar Isayev
Zarnigor Yakubova a vécu parmi les abeilles la majeure partie de sa vie. Elle a grandi dans un petit village du district de Boʻstonliq, situé dans les montagnes d’Ouzbékistan, où elle aidait son père à s’occuper du rucher familial. Ce qui au départ était un passe-temps familial est devenu une compétence qui l’a discrètement accompagnée à l’âge adulte.
Dotée d’une grande soif d’apprendre et de solides connaissances linguistiques, Zarnigor rêvait de devenir enseignante et a toujours pensé que son avenir professionnel était dans l’éducation.
Mais sa vie a basculé d’un coup. Enceinte de son premier enfant, elle a également dû s’occuper de sa mère gravement malade alors qu’elle était en plein divorce. Sans possibilité d’emploi dans son village et sans aide extérieure, Zarnigor s’est retrouvée face à l’immense défi de subvenir seule aux besoins de sa famille.
«Le village dans lequel je vis est très traditionnel. Ici, la femme est tenue pour responsable en cas divorce. Personne ne le dit ouvertement, mais tout le monde le pense», confie-t-elle. «Les nouvelles se répandent vite, et c’est difficile de trouver du soutien. Mais je n’ai pas baissé les bras.»
À court d’options et obligée de mettre ses études entre parenthèses, elle se tourne vers une activité familière : les abeilles.
«Je me souviens encore de la première récolte de miel de mon père, peut-être 10 ou 15 kilogrammes. Il nous a offert un petit cœur sculpté dans du bois. À ce moment-là, j’ai compris que ce travail avait de la valeur.»
Au départ, elle s’est occupée des ruches familiales. Mais le travail était difficile et le matériel obsolète. Ils avaient l’habitude de faire fondre la cire dans de grosses marmites, ce qui laissait des impuretés et augmentait le risque de maladie.
Les apiculteurs de cinq villages voisins partageaient un seul extracteur à miel, ce qui les contraignait à attendre leur tour et à effectuer souvent de longs déplacements. En cas de maladie dans les ruches, ils n’avaient pas les outils nécessaires pour détecter le problème et le traiter rapidement. Des saisons entières de récolte de miel pouvaient être perdues à cause d’épidémies, et chaque retard signifiait des pertes de rendements et de revenus.
Après s’être occupée des abeilles de la famille, Zarnigor gère maintenant ses propres colonies. © FAO / Umar Isayev
En 2023, Zarnigor a été contactée par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) afin de participer au projet «Ne laisser personne de côté», soutenu par le Ministère de l’agriculture et des forêts de la Türkiye. Ce projet vise à favoriser l’autonomisation économique des femmes vivant en milieu rural, en leur donnant accès à des connaissances agricoles, à des outils et à des réseaux de pairs.
Zarnigor est l’une des 48 femmes du district Boʻstonliq à avoir été sélectionnée pour bénéficier d’un soutien.
En assistant à des séances de formation animées par des spécialistes et à un festival régional d’apiculture, Zarnigor a fait passer ses compétences au niveau supérieur. Les ateliers portaient sur les méthodes pratiques permettant d’améliorer l’hygiène des ruches et enseignaient comment détecter les signes précoces de maladie et gérer plus efficacement les colonies. Les participants ont également appris à nourrir les abeilles avec du sirop de saccharose au début du printemps, au moment où elles sont le plus vulnérable après l’hiver, et ont reçu des conseils sur la manière d’accroître la rentabilité de leur activité apicole et d’en faire une source durable de revenus.
«J’ai appris comment séparer la cire du miel, comment repérer les insectes nuisibles simplement en observant les ruches et comment prendre soin des abeilles lorsqu’elles sont affamées après un long hiver», explique-t-elle.
Grâce au projet, elle a également reçu un cérificateur et un extracteur à miel pour sa famille. Elle a ainsi pu gagner du temps, réduire les risques liés aux maladies et travailler de manière indépendante.
Équipée du matériel et des connaissances nécessaires, Zarnigor a été en mesure de lancer son propre commerce apicole. Aujourd’hui, elle gère 40 ruches et vend du miel, de la cire, de la gelée royale et de la propolis à des clients directement depuis son domicile.
Elle aide également son père à s’adapter aux outils modernes et a notamment lancé un blog pour promouvoir leurs produits à base de miel et partager leur histoire.
«Avant, je ne me rendais pas compte de ce que nous perdions, mais maintenant j’ai appris à faire les choses correctement», dit-elle.
Zarnigor aux côtés de son père et de son fils dans le rucher familial. Elle élève son fils en lui inculquant la valeur de leur tradition familiale. © FAO / Umar Isayev
L’apiculture est traditionnellement considérée comme un métier masculin en Ouzbékistan. Jusqu’à récemment, Zarnigor n’avait jamais rencontré d’autres apicultrices. «Tout le monde pensait que c’était un travail d’homme. Trop risqué, trop difficile», remarque-t-elle.
Cependant, à travers son exemple personnel, Zarnigor contribue à remettre en question ces stéréotypes et à faire évoluer les mentalités dans son village. Plusieurs femmes qui ont suivi la formation ont maintenant leurs propres ruches et d’autres, encore plus nombreuses, la sollicitent pour des conseils.
Grâce à l’argent que lui rapporte la production de miel et aux cours particuliers qu’elle donne à des enfants pendant son temps libre, Zarnigor s’emploie à atteindre un autre objectif important. Elle économise pour s’acheter une maison. «Elle est petite, mais elle sera à moi. C’est tout ce qui compte.»
En plus de fournir une assistance technique, le projet a également permis aux femmes vivant en milieu rural de tisser des liens informels. Le groupe qui avait été créé afin de garder le contact après la formation est devenu un espace très utile pour échanger des idées et s’encourager mutuellement. «Nous ne partageons pas uniquement des outils et des conseils. Nous nous motivons les unes les autres et nous parlons de nos progrès. C’est comme une petite communauté».
Au milieu de tout cela, elle reste concentrée sur l’avenir. Elle espère ouvrir sa propre boutique de produits à base de miel et transmettre à son fils les valeurs qui la guident dans son travail. «Je veux qu’il devienne quelqu’un d’important, quelqu’un qui aide les autres, mais aussi quelqu’un qui sait d’où il vient et qui apprécie tout ce que nous avons construit.»
Ce qui au départ n’était qu’un moyen de traverser une période difficile est devenu un commerce prospère, qui lui permet non seulement de gagner sa vie mais aide également d’autres femmes à créer des entreprises durables et à acquérir une plus grande indépendance économique.
«J’ai affronté les jugements, la maladie qui a touché notre famille, la pauvreté et l’isolement. Mais je suis toujours là, et je construis un avenir pour moi et pour mon fils, avec les abeilles, la force de mes mains et la conviction que je suis capable d’en faire plus.»
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