Les vergers de citronniers d’Amalfi sont un modèle de résilience dans l’agriculture montagnarde. © Photo reproduite avec l’aimable autorisation de Flavia Amabile
Le citron d’Amalfi est cultivé dans un paysage aussi exceptionnel que sa saveur. Depuis près d’un millénaire, sur la côte amalfitaine en Italie, les agriculteurs travaillent en harmonie avec la nature pour aménager des terres arables sur des pentes abruptes, où ils plantent des citronniers, des oliviers et des vignes sur d’étroites terrasses en pierre situées à flanc de montagne. Les agriculteurs grimpent le long de treillis en bois, ou pergolas, pour aller s’occuper de leurs citronniers, une technique défiant la gravité qui leur a valu le surnom d’«agriculteurs volants».
Recherché pour son parfum envoûtant et sa chair sucrée et juteuse, le citron d’Amalfi est à la fois un trésor culinaire et la clef de voûte d’un patrimoine vivant. Perfectionnés au fil des siècles, les vergers de citronniers sont un modèle d’agriculture méditerranéenne en zone montagneuse. Alliant ingéniosité et tradition, ils assurent une protection contre les glissements de terrain, procurent des moyens de subsistance et sont le lien qui unit les habitants à la terre.
Le citron qui a façonné un littoral
Arrivés sur la côte amalfitaine au début du Moyen Âge grâce au commerce arabe, les citrons étaient à l’origine utilisés à des fins médicinales. Les marins s’en servaient pour combattre le scorbut lorsqu’ils partaient pour de longues expéditions. À partir du XVe siècle, les citrons d’Amalfi ont permis l’essor d’un commerce maritime florissant entre cette région, les cités italiennes et le reste de l’Europe.
Au fil du temps, ces fruits sont devenus plus qu’une simple marchandise: ils se sont imposés comme un symbole identitaire. De nos jours, la variété Sfusato Amalfitano est indissociable du caractère de la côte amalfitaine. Ce citron a une saveur si sucrée qu’on peut le manger cru, comme une pomme, mais il sert aussi à parfumer les pâtisseries, à aromatiser les pâtes et, après distillation, à confectionner le limoncello, liqueur emblématique de la région. C’est également une source de revenus importante pour les habitants de la région, car l’agrotourisme attire les visiteurs dans les vergers, avec au programme des visites guidées, des ateliers de cuisine et la découverte d’un musée du citron, et marie agriculture, hébergement et tradition, autant d’attraits qui aident les petites exploitations agricoles à résister aux pressions modernes.
Le citron Sfusato Amalfitano est le résultat de siècles d’adaptation locale, qui ont permis d’en faire une variété parfaitement adaptée à ce terrain escarpé et à l’air marin. Associés aux forêts voisines, ces vergers en mosaïque favorisent une agrobiodiversité qui garantit la sécurité alimentaire et la résilience écologique dans un environnement fragile et accidenté.
Les familles continuent de cultiver les citronniers à la main, à l’aide d’un système fait de terrasses, de pergolas et de citernes. En haut, à gauche: ©Valentino Anselmi. En bas, à droite: © Photo reproduite avec l’aimable autorisation de Flavia Amabile
Le système qui se cache derrière le fruit
Sur la côte amalfitaine, il ne suffit pas d’avoir la main verte pour pouvoir cultiver des citrons. L’entretien des vergers nécessite aussi des connaissances en maçonnerie, en menuiserie et en irrigation.
Ce système repose sur des connaissances transmises de génération en génération. Les familles continuent d’entretenir les vergers à la main, en respectant les rythmes saisonniers et les périodes de taille et en mettant à profit les microclimats créés par les terrasses, les pergolas et les citernes, qui sont les piliers de la culture du citron dans la région amalfitaine.
Prenons l’exemple des pergolas: elles sont fabriquées avec du bois de châtaignier extrait des forêts voisines, et les agriculteurs y attachent les branches des citronniers afin de garder les fruits à portée de main tout en empêchant que les branches ne cèdent sous leur poids.
Les terrasses jouent un rôle tout aussi essentiel: se comptant par milliers, elles sont bordées par des murs en pierre sèche mesurant entre 3 et 7 mètres de hauteur. Construites sans ciment, elles permettent la libre circulation de l’eau et de l’air, ce qui préserve la santé des sols tout en stabilisant les coteaux. Les canaux et les citernes permettent de retenir l’eau de pluie lors des averses soudaines et de la stocker en prévision des mois secs, protégeant ainsi les vergers aussi bien de la sécheresse que des inondations, ce qui représente un facteur de résilience de plus en plus essentiel à mesure que le climat change.
«Quand j’étais jeune, c’était normal de voir une pluie fine tomber la plupart des après-midis d’été», se remémore Gino Amatruda, producteur de citrons de troisième génération de la Valle delle Ferriere. «Maintenant, soit la pluie s’abat d’un coup, soit il ne pleut pas une goutte. Et quand il pleut, c’est si rapide que le sol ne peut pas absorber l’eau.» Le système de culture en terrasses, comme il l’explique, aide à absorber et à canaliser cette force, et à faire des pluies torrentielles une ressource plutôt qu’une menace.
Pourtant, ces mêmes terrasses qui protègent les terres peuvent également les mettre en péril. Lorsqu’elles sont entretenues avec soin, elles stabilisent les coteaux, mais si elles sont négligées, elles peuvent s’effondrer et provoquer des glissements de terrain. «Nous travaillons avec la nature», explique Gino, «mais si personne ne la guide, la nature reprendra ce qu’elle a déjà conquis. La côte amalfitaine serait méconnaissable si nous abandonnions nos terrasses de citronniers.»
La FAO a octroyé le statut de SIPAM aux vergers de citronniers d’Amalfi en août 2025. Cette désignation vient reconnaître l’importance de ce système exceptionnel, qui constitue à la fois un trésor culturel et un modèle de résilience qui mérite d’être protégé. © Photo reproduite avec l’aimable autorisation de Flavia Amabile
Une tradition menacée
Les vergers d’Amalfi sont le seul système en Italie qui associe la culture en terrasses et l’utilisation de pergolas pour la production de citrons, une méthode aussi ingénieuse qu’exigeante. Les agriculteurs pratiquent toujours la récolte à la main et portent des paniers, qui peuvent peser jusqu’à 70 kilogrammes, sur des chemins pentus à plusieurs centaines de mètres au-dessus de la mer.
L’entretien des pergolas et des murs est une tâche coûteuse et astreignante, et un grand nombre de vergers a été abandonné ou vendu au cours des 50 dernières années. Les «agriculteurs volants» comptent désormais parmi les derniers gardiens des citrons d’Amalfi, leurs traditions étant menacées par la hausse des coûts, l’évolution démographique et le dérèglement climatique.
«Autrefois, des familles entières vivaient de la culture du citron», explique Gino. «C’est devenu tellement difficile aujourd’hui. Peu de jeunes veulent continuer dans cette voie.»
En août 2025, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a classé les vergers de citronniers d’Amalfi parmi les Systèmes ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM), désignant leur système de terrasses et de pergolas comme l’un des paysages agricoles les plus précieux au monde.
Cette reconnaissance est plus que symbolique: elle atteste du fait que ce système complexe n’est pas seulement un trésor culturel et un patrimoine agricole, mais aussi un modèle de résilience qui mérite d’être protégé.
Pour Gino, cette désignation ne pouvait pas arriver à un meilleur moment. Il espère qu’elle aidera les jeunes à retomber sous le charme des citrons et à réinvestir les terrasses d’Amalfi. À ses yeux, le statut de SIPAM permettra de rappeler tant aux visiteurs qu’aux habitants que la côte amalfitaine ne se résume pas à ses plages, mais qu’elle fait aussi partie d’un mouvement et d’un réseau d’envergure mondiale en faveur de pratiques agricoles résilientes et durables.
Grâce à la reconnaissance de la FAO, le patrimoine agricole d’Amalfi sera désormais connu dans le monde entier. Les vergers de citronniers représentent bien plus qu’une simple activité agricole: ils forment un écosystème vital qui préserve l’environnement et la biodiversité tout en renforçant la culture alimentaire. Les citrons d’Amalfi sont une illustration des liens étroits qui unissent la nature, la culture et la population, ainsi que de la résilience qui naît d’un mode de vie en harmonie avec la terre.
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