La situation des forêts du monde 2022

Chapitre 4 Des options viables existent pour accroître les investissements dans les solutions forestières – avec des avantages potentiels considérables

4.2 Les initiatives prometteuses en matière de mobilisation de financements des solutions forestières par le secteur privé doivent être encouragées et faire l’objet d’un suivi

Même si le secteur privé constitue une source de financement difficile à quantifier, son potentiel est considérable pour ce qui est de favoriser le développement des investissements dans les solutions forestières. Les différents acteurs prennent de plus en plus conscience du fait que la perte de services écosystémiques fournis par les forêts présente des risques et met en péril la rentabilité des entreprises, ainsi que le secteur financier et des économies entières, ce qui tend à renforcer l’attention et les financements accordés par le secteur privé aux solutions forestières.

L’investissement privé dans la conservation et la restauration des forêts semble être en plein essor

Les entreprises privées prennent de plus en plus part à la conservation et à la restauration des forêts. D’après les données de la Banque mondiale, les dix meilleurs instruments d’investissement à forte rentabilité sur les marchés émergents intéressent en majeure partie le secteur forestier (figure 20)358. Les obligations émises par les entreprises du secteur du bois durable (pertinentes au regard des solutions «mettre fin à la déforestation», «restauration» et «utilisation durable») constituent l’instrument coté comme étant doté du plus fort potentiel; viennent ensuite les fonds privés d’investissement en capital liés aux produits verts à l’appui des produits de base durables (pertinents au regard des solutions «mettre fin à la déforestation» et «utilisation durable»); les prêts liés à la biodiversité/la durabilité (prêts accordés sur la base d’indicateurs environnementaux, pertinents au regard des trois solutions forestières); les organismes de gestion des investissements forestiers et fonds d’investissement dans ce domaine (pertinents au regard des solutions «mettre fin à la déforestation» et «restauration»); les fonds de prêt institutionnels liés aux produits verts, qui fournissent des prêts pour les produits de base durables («mettre fin à la déforestation»); les fonds de prêt privés liés à la conservation, qui fournissent des prêts aux petites et moyennes entreprises ayant une incidence positive en termes de conservation («mettre fin à la déforestation»); les fonds de prêt intéressant la pêche, qui fournissent des prêts pour les activités de pêche durable (moins pertinents pour les forêts, quoique potentiellement importants pour les mangroves et autres forêts côtières); les fonds d’investissement participatifs liés à la conservation, qui fournissent des capitaux aux entreprises de conservation («mettre fin à la déforestation»); les fonds de prêt dans le domaine de l’écotourisme, qui fournissent des prêts aux entreprises d’écotourisme («restauration»); et les fonds de compensation carbone axés sur les écosystèmes, qui soutiennent les stratégies de compensation carbone par l’intermédiaire de projets de conservation/restauration des écosystèmes («mettre fin à la déforestation» et «restauration»).

Figure 20Les dix meilleurs instruments d’investissement à rentabilité élevée sur les marchés émergents, par niveau de potentiel

SOURCE: Banque mondiale. 2020. Mobilizing private finance for nature. Washington, Banque mondiale. https://doi.org/10.1596/35984
NOTE: Le potentiel est noté qualitativement dans chaque catégorie sur une échelle de 1 (très faible) à 5 (très élevé). OGIF = organismes de gestion des investissements forestiers; PME = petites et moyennes entreprises.
SOURCE: Banque mondiale. 2020. Mobilizing private finance for nature. Washington, Banque mondiale. https://doi.org/10.1596/35984

Le secteur privé met au point de nouveaux modèles d’activité qui intègrent de multiples sources de financement. Par exemple, Sealaska (entreprise autochtone de l’État de l’Alaska, aux États-Unis d’Amérique) emploie une approche intégrée de la gestion des terres pour sa concession de forêt primaire au sein de la forêt nationale de Tongass. Par le passé, Sealaska s’est beaucoup appuyée sur ses revenus issus de l’exploitation forestière, mais en 2015, elle a obtenu d’accéder aux marchés carbone californiens, ce qui lui a permis de diversifier ses activités. De 2015 à 2019, l’entreprise a généré 100 millions d’USD en vendant des crédits carbone à des entreprises pétrolières359. Un partenariat entre une organisation non gouvernementale et un revendeur mondial de meubles, visant à créer des chaînes de valeur du bois plus durables en Asie du Sud-Est, est un autre exemple du financement des transitions vers des chaînes de valeur plus vertes (encadré 18).

Encadré 18Exploitation forestière et production durable, deux éléments pertinents au regard de la solution «utilisation durable»

En 2006, le Fonds mondial pour la nature (WWF) et IKEA ont formé un partenariat en vue de transformer le marché des produits forestiers dans la région du Mékong, en Asie du Sud-Est, notamment en ce qui concerne les plantations d’acacia au Viet Nam. Ce partenariat avait pour objet de créer des chaînes d’approvisionnement plus durables dans lesquelles les petits exploitants et les entreprises de plantation forestière fourniraient du bois certifié par le Forest Stewardship Council (FSC) à destination des marchés mondiaux d’IKEA360. Ce lien avec le marché a été essentiel pour permettre aux petits exploitants d’obtenir une certification361, le FSC ayant certifié en 2016 plus de 4 000 hectares d’acacias cultivés par de petits propriétaires forestiers. Une meilleure planification de l’activité, et des cycles de récolte plus longs, donnent un bois de meilleure qualité, et un engagement de la part d’acheteurs tels qu’IKEA se traduit par de meilleurs prix. Un tel modèle a augmenté les revenus des ménages, le bois certifié par le FSC étant vendu à des prix 10 à 18 pour cent plus élevés que le bois non certifié362. En 2016, le montant total des transactions entre IKEA et ses fournisseurs vietnamiens a atteint environ 100 millions d’EUR (118 millions d’USD) par an, montrant qu’il existe des possibilités d’accroître la part de marché des fournisseurs en mesure de respecter certaines normes363. L’amélioration des normes a aidé l’industrie du bois au Viet Nam, lequel donne l’exemple d’un pays tropical en développement où le secteur de la plantation et des produits du bois peut faire progresser le développement rural, les moyens d’existence ruraux et le revenu national364.

Des modèles de financement mixtes pourraient aider à supprimer les risques liés aux investissements privés à forte valeur du point de vue du bien public mais dont le ratio risque/retour sur investissement n’est pas suffisamment attractif

L’OCDE définit le financement mixte comme étant l’utilisation stratégique du financement à l’appui du développement permettant de mobiliser des financements additionnels en vue de la réalisation des objectifs de développement durable dans les pays en développement, les «financements additionnels» se rapportant principalement aux financements commerciaux365. Le financement mixte repose sur des modèles financiers où sont réunies différentes sources de capital offrant des retours sur investissement et des niveaux de maturité divers. De tels modèles peuvent permettre de mobiliser des sources de financement publiques, privées et internationales sous forme de fonds d’investissement. Les mécanismes de financement publics internationaux, tels que le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), y recourent de plus en plus à l’appui des objectifs environnementaux mondiaux. Selon de telles approches, les financements publics aident à mobiliser des capitaux privés, accroissant les montants disponibles pour des investissements que les investisseurs traditionnels considèrent comme trop risqués. L’encadré 19 présente trois exemples récents de financements mixtes qui ont le potentiel d’appuyer les trois solutions forestières. Plusieurs entreprises du secteur forestier s’emploient à structurer ce type d’outil afin d’investir dans la gestion durable des forêts, avec des avantages collatéraux dans les domaines de la conservation et de la restauration.

Encadré 19Exemples de projets de financement mixte visant à mobiliser des fonds pour un secteur forestier durable

Fonds pour les nouvelles forêts du Fonds pour la forêt tropicale asiatique 2. Un groupe d’investisseurs institutionnels, d’institutions financières axées sur le développement, d’organismes de dotations et d’entreprises cherchant à investir essaient de lever 300 millions d’USD en vue d’investir dans la plantation, en Asie du Sud-Est (Cambodge, Indonésie, République populaire démocratique lao, Malaisie et Viet Nam), de massifs forestiers durables et certifiés par le FSC, afin de répondre à la demande croissante de bois sur les marchés intérieurs et à l’exportation. Le financement mixte serait composé de 10 à 15 pour cent de fonds propres à impact positif offrant des conditions favorables, qui seraient consacrés au financement d’activités telles que la restauration des habitats naturels, la réhydratation des tourbières, ainsi que des mécanismes de sous-traitance communautaire au sein des entreprises de plantation du Fonds. Les investisseurs du Fonds sont aussi intéressés, sur le long terme, par l’achat de crédits carbone issus des activités du Fonds366.

Nouveau fonds du Fonds vert pour le climat pour la bioéconomie de l’Amazonie. Ce programme de 600 millions d’USD comportera un investissement de 279 millions d’USD du Fonds vert pour le climat et sera mis en œuvre en coopération avec la Banque interaméricaine de développement. Il encouragera l’investissement privé dans six domaines de la bioéconomie: 1) l’agroforesterie durable; 2) la culture de palmiers locaux; 3) les produits forestiers non ligneux; 4) la culture d’espèces d’arbres locales; 5) l’aquaculture; 6) le tourisme vert sous la direction des communautés367.

Véhicule de financement de Komaza pour les petits exploitants forestiers. Le but de Komaza, entreprise de petits exploitants du Kenya, est de répondre à la demande croissante de bois en Afrique en associant les petits exploitants à des opérations commercialement viables. Komaza a été créée, initialement, à partir de subventions d’entreprises à vocation sociale, ce qui lui a permis d’obtenir des fonds pour le développement et des fonds commerciaux via des prêts convertibles et des placements provenant de diverses entités. Des financiers ont aussi investi dans l’entreprise, l’aidant à se constituer un actif sous forme d’arbres et de plusieurs petites à moyennes installations de transformation du bois. Après 14 ans, l’entreprise compte désormais des milliers de partenaires, pèse plus de 20 millions d’USD et est dotée d’une expertise sur toute la chaîne de valeur. En 2020, elle a conclu un accord de financement de fonds propres de 28 millions d’USD avec la Banque de développement néerlandaise. Les agriculteurs fournissent les terres et la main-d’œuvre, et l’entreprise apporte une assistance technique et les intrants nécessaires à la ligniculture. Les coûts sont ainsi maintenus à un niveau relativement faible (dans les plantations classiques, la main-d’œuvre peut représenter plus de la moitié du coût total), et les agriculteurs peuvent investir dans leurs plantations sans s’endetter et convertir leur travail en actifs (les arbres). Quand les arbres ont atteint la taille requise, l’entreprise les récolte, les transporte et les vend, et partage les recettes avec les agriculteurs. Il est parfois difficile pour les exploitants pratiquant l’agriculture de subsistance d’obtenir la documentation nécessaire pour prouver qu’ils sont propriétaires de terres et d’autres actifs, documents dont ils ont besoin pour obtenir des prêts commerciaux. Pour devenir partenaire de Komaza, toutefois, la propriété d’un exploitant peut être simplement reconnue par des voisins ou des chefs de communauté. À ce jour, près de 6 000 exploitants ont planté 2 millions d’arbres sur environ 4 000 hectares dans le cadre de ce mécanisme368.

Les obligations vertes se font jour, mais seulement 3 pour cent sont axées sur des solutions fondées sur la nature

Les obligations vertes sont des emprunts émis sur les marchés financiers et qui ont la particularité de financer (ou de refinancer) des projets ayant des conséquences bénéfiques au plan environnemental; elles constituent une part importante du marché financier durable, qui connaît ces dernières années une croissance exponentielle. En particulier, le marché des obligations vertes est en hausse constante depuis 2014. Ce marché est dominé par les secteurs de l’énergie, des transports et du bâtiment – en 2019, le secteur de l’utilisation des terres, qui inclut la foresterie, n’a attiré que 3 pour cent d’obligations vertes (figure 21)369. Toutefois, les entreprises du secteur forestier ont elles aussi émis des obligations vertes (encadré 20).

Figure 21Marché des obligations vertes, 2014-2021

SOURCE: Climate Bonds Initiative, communication personnelle, février 2022.
SOURCE: Climate Bonds Initiative, communication personnelle, février 2022.

Encadré 20Obligations vertes – financer les solutions forestières

Klabin est un producteur et exportateur brésilien de papier d’emballage doté d’unités industrielles au Brésil et en Argentine. Toutes ses unités ont fait l’objet d’une certification indépendante par le FSC (dont 229 000 hectares de plantations forestières et 215 000 hectares de forêt naturelle réservés à la conservation). Klabin a adopté le principe de la restauration en mosaïque pour sa gestion durable des forêts: les plantations sont entrecoupées de zones de forêt naturelle. L’entreprise a émis des obligations vertes, qui représentent des possibilités de financement pour les trois solutions forestières; il s’agit plus spécifiquement de deux obligations vertes (500 millions d’USD, dont l’échéance a été fixée à 2027) et d’une obligation en lien avec la durabilité (500 millions d’USD, dont l’échéance a été fixée à 2031). Entre 2015 et 2020, environ 345 millions d’USD ont été dépensés selon huit critères d’éligibilité, dont 216 millions d’USD pour la gestion durable des forêts et 12 millions d’USD pour la restauration des forêts naturelles et la conservation de la biodiversité.

SOURCE: Comité consultatif de la filière bois durable de la FAO. 2021. Background paper on status, challenges, and opportunities of forest-based industries engagement for ecosystem restoration (business rationale and financing solutions as drivers for restoration). FAO. Non publié.

La plupart des obligations vertes sont émises par des économies développées; parmi les économies en développement, le Chili, la Chine et l’Indonésie en sont d’importants émetteurs. Le Conservation Fund (basé aux États-Unis d’Amérique) a lancé en 2019 la première obligation verte purement consacrée à la conservation, pour un montant de 150 millions d’USD. La Commission européenne a récemment adopté un cadre pour les obligations vertes, ouvrant la voie à l’émission de pas moins de 250 milliards d’EUR de telles obligations; ce cadre offre aux investisseurs l’assurance que les fonds mobilisés seront affectés à des projets verts et que la Commission rendra compte de leurs effets sur l’environnement370.

Les engagements de financement pris par des entités privées envoient un message positif, mais un soutien accru aux institutions publiques et privées est nécessaire afin de développer des portefeuilles de projets propres à attirer les investissements

De nombreuses réunions et de nombreux forums ont fait ressortir qu’il était plus facile de résoudre la question de la provenance des financements (c’est-à-dire la question de savoir où trouver des financements additionnels pour le secteur des forêts) que celle de leur affectation (c’est-à-dire savoir dans quoi investir, au sein des économies émergentes et en développement, pour générer des avantages économiques, sociaux et environnementaux)371. Dans de nombreux pays en développement et émergents, cette dernière question limite le progrès au regard des forêts – la disponibilité de grandes quantités de fonds doit aller de pair avec de vastes possibilités d’investissement. Afin d’attirer des crédits suffisants vers les solutions de la restauration et de l’utilisation durable, les pays ont besoin de portefeuilles crédibles de projets de qualité, attractifs et transposables à différentes échelles. L’un des moyens de développer de tels portefeuilles serait de mettre en place des facilités ou pôles d’investissement afin d’aider les petites et moyennes entreprises, communautés, petits producteurs et organisations de petits producteurs prenant part aux chaînes de valeur forestières à regrouper leur production, à créer de la valeur ajoutée et à élaborer des projets de qualité; des outils permettant d’éclairer les décisions d’investissement pourraient aussi être élaborés et déployés.

Plusieurs initiatives ont été élaborées ces dernières années afin de contribuer à créer des portefeuilles de projets susceptibles d’attirer des investisseurs. Le programme Land Accelerator aide les entrepreneurs et les petites et moyennes entreprises à mettre au point et à transposer à plus grande échelle des modèles d’activité visant à lutter contre la déforestation et à restaurer les forêts. À ce jour, 191 entrepreneurs, dans 46 pays, ont bénéficié de ce programme. Le programme Restoration Factory, lancé en 2021, offre un mentorat aux entrepreneurs démarrant une activité de restauration des écosystèmes. Différents modèles pour la préparation de projet, ainsi que des dispositifs d’assistance technique, existent. Certains sont ouverts à un large éventail de fonds et d’investisseurs: le Fonds d’accélération des investissements Nature+, entré en activité en 2021, soutient l’élaboration de projets à différents stades de maturation. D’autres dispositifs de préparation de projets et d’assistance technique sont directement reliés aux fonds concernés, comme dans le cas du Fonds pour la neutralité en termes de dégradation des terres, du Fonds &Green et du Fonds Agri3.

De nouveaux véhicules d’investissement à l’appui des solutions forestières ont été catalysés par divers programmes, comme l’ICFA (accélérateur international du financement climatique). Le but du mécanisme de capital d’amorçage pour la restauration (Restauration Seed Capital Facility), institué en 2021, est d’accélérer la conception de véhicules d’investissement contribuant à la restauration des forêts et des paysages, y compris au moyen d’une aide ciblée pour la mise en place d’un portefeuille de projets susceptibles d’intéresser les investisseurs. Les enseignements tirés de ces programmes peuvent être mis à profit et des efforts et ressources supplémentaires peuvent être mobilisés par les pouvoirs publics et les investisseurs afin de continuer à développer des projets susceptibles d’attirer des investissements.

back to top HAUT DE LA PAGE