FISH4ACP

Valoriser le potentiel
de la pêche et de l'aquaculture
en Afrique, dans le Caraïbes et le Pacifique

Améliorer la situation des femmes dans les pêcheries du lac Tanganyika

Les transformatrices de poisson tanzaniennes s’inspirent des groupes de femmes impliquées dans la pêche artisanale en Afrique



5 décembre 2023, Dar Es Salaam – L'autonomisation des femmes est cruciale pour améliorer leur participation aux pêcheries du lac Tanganyika, souligne la professeure Anna Sikira en amont d’une rencontre entre des groupes de femmes africaines travaillant dans le secteur de la pêche à Dar Es Salaam.  

Dans cet entretien, la professeure Sikira nous parle de son travail et notamment de sa participation à une étude de genre réalisée par le programme mondial de développement de la chaîne de valeur du poisson FISH4ACP. Aujourd'hui, elle s'efforce de combler les écarts entre les hommes et les femmes dans la chaîne de valeur du sprat, de la sardine et de la perche du lac Tanganyika. 

«Les femmes du lac Tanganyika sont chargées de la transformation et du commerce du poisson», explique Mme Sikira, spécialiste des questions de genre et professeure associée à l'Université d'agriculture de Sokoine (SUA) en Tanzanie. «Elles n'ont pas le droit d'aller à la pêche, car selon les croyances locales, les femmes porteraient malheur au pêcheurs. C'est un tabou.» 

Parmi les quatre pays riverains du lac Tanganyika, la Tanzanie est le principal producteur de sardines, de sprats et de perches, avec 85 % des captures annuelles du lac. Les pêcheries du lac Tanganyika sont essentiellement artisanales et leur main-d'œuvre, composée de 27 000 pêcheurs et de 11 000 transformateurs, obéit à une stricte division du travail: les hommes s'occupent principalement de la pêche et les femmes sèchent et transforment le poisson pour le vendre.  

FISH4ACP est une initiative de l'Organisation des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) mise en œuvre par la FAO et financée par l'Union européenne (UE) et le Ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement (BMZ) pour aider la Tanzanie à renforcer la chaîne de valeur de la sardine, du sprat et de la perche du lac Tanganyika. 

L'une des priorités de FISH4ACP est de soutenir la participation des femmes à la chaîne de valeur, notamment en leur donnant les moyens de s'organiser en groupes. L'année dernière, FISH4ACP et le Ministère tanzanien de l'élevage et de la pêche ont donc participé à la création d'une branche pour le lac Tanganyika de l'organisation faîtière Tanzanian Women Fish Workers Association (TAWFA).  

Du 5 au 7 décembre, six membres de cette nouvelle section ont été formées à l'action collective et au renforcement des capacités organisationnelles afin d'améliorer leur position dans la chaîne de valeur, dans le cadre d'une rencontre entre groupes de femmes travaillant dans le secteur de la pêche artisanale en Afrique, tenue à Dar Es Salaam. 

En vue de préparer le terrain pour son activité de soutien des femmes dans les pêcheries du lac Tanganyika, FISH4ACP a conduit une étude sur les contraintes et les possibilités liées au genre dans les communautés de pêcheurs au bord du lac. 

«Derrière le tabou au sujet des femmes qui vont à la pêche, se cache l'idée que la pêche serait trop difficile pour une femme et que cette activité la détournerait de son rôle, qui est de s'occuper de la famille», explique la professeure Sikira, qui a participé à l'étude. Lorsqu'il s'agit de transformation, ajoute-t-elle, une autre contrainte se pose : «Les femmes ne sont pas autorisées à posséder des terres. Elles doivent donc en louer pour transformer et sécher leur poisson, ce qui se traduit par une baisse de leurs bénéfices.» 

Les revenus des femmes sont aussi affectés par un accès insuffisant aux services financiers, des équipements de transformation inadéquats et un faible pouvoir de négociation, explique la professeure Sikira, ce qui a pour effet de réduire la qualité de leur poisson et le prix qu'elles obtiennent sur le marché.  

Les femmes sont également confrontées à d'autres problèmes, tels que la violence sexiste, les grossesses précoces et le VIH/sida, explique la professeure Sikira, avant d'ajouter : «Pendant la saison sèche, lorsqu'il n'y a pas assez de poisson dans le lac et que les femmes ont beaucoup de mal à nourrir leur famille, elles peuvent être exposées au risque de rapports sexuels transactionnels en échange du poisson dont elles ont besoin.» 

En visitant les communautés de pêcheurs du lac Tanganyika pour discuter des résultats de l'étude, la professeure Sikira a constaté que bon nombre de ces contraintes liées au genre avaient une cause profonde pour dénominateur commun: «La plupart des problèmes sont dus à des normes culturelles et à des traditions». 

La sensibilisation est donc au cœur de la stratégie d'intégration de la dimension de genre que FISH4ACP a commencé à mettre en œuvre en Tanzanie. «Cela permettra de mieux comprendre les normes qui empêchent les femmes de participer au même titre que les hommes à la chaîne de valeur du poisson.» 

Mme Sikira est bien consciente de la difficulté de changer les traditions. «C'est pourquoi nous responsabiliserons à la fois les hommes et les femmes, et nous engagerons les décideurs politiques, les autorités locales, ainsi que les chefs religieux pour veiller à ce que les femmes obtiennent une part équitable et les mêmes opportunités».  

Pour la professeure Sikira, le changement se fera progressivement. «Si les femmes travaillent ensemble, elles peuvent améliorer leur accès aux ressources financières, renforcer leurs activités de transformation et consolider leur position sur le marché», ajoute-t-elle : «D'ici quelques années, les pêcheries du lac Tanganyika deviendront plus attrayantes pour les femmes».