La FAO et le Fonds vert pour le climat s’emploient à freiner la déforestation et à lutter contre le changement climatique en Colombie. ©FAO/Felipe Rodriguez
«Pour moi, qu’est-ce que la rivière doit emporter? La déforestation», affirme Sandra Donado, dont la voix se heurte à la tempête soudaine qui secoue son embarcation sur le fleuve Guaviare, dans la région du biome amazonien en Colombie.
Véritable témoin silencieux des troubles qui agitent la municipalité de Mapiripan, ce cours d’eau a tout connu: le trafic d’espèces sauvages, les récoltes de coca qui ont alimenté le conflit, ainsi que la présence de cadavres humains, qui a marqué ses jours les plus sombres, et la dégradation incessante de la forêt tropicale humide qu’il a autrefois nourrie. Aujourd’hui, Sandra espère qu’il emportera les souffrances passées et que sa communauté et sa terre entreront dans une ère de guérison.
Depuis longtemps, Mapiripan est en proie à un cycle de conflits et à une dégradation de l’environnement aggravée par le changement climatique. Il y a de nombreuses années, la région était connue pour le commerce illégal de fourrures d’animaux sauvages; plus tard, elle est tombée dans la culture de la coca et a attiré des groupes armés qui ont transformé la forêt tropicale luxuriante en champ de bataille.
Confrontée à l’extrême pauvreté et à la violence, la jeune Sandra est arrivée à Mapiripan au début des années 2000, mue par une promesse de prospérité. «Il y a eu un grand essor économique», se souvient-elle, «mais il était imputable aux cultures illégales, et il n’y avait pas d’autre moyen de gagner sa vie».
Toutefois, la période de prospérité de la région a été de courte durée. Le conflit s’intensifiant, le commerce de la coca a chuté, et la communauté s’est retrouvée dans une situation désastreuse. «Nous vivions à la fois dans une situation économique florissante et dans un contexte de conflit», explique Sandra, la voix tremblante, en racontant les moments éprouvants qu’elle a vécus lorsqu’elle a dû se cacher pour échapper aux groupes armés. En 2009, la plupart des habitants des communautés rurales de la région ont été contraints de partir.
Bon nombre d’entre eux, dont Sandra, sont revenus après la signature de l’accord de paix en 2016. Mais les terres, malmenées par le conflit et par une agriculture non vertueuse, ne sont guère productives. En raison du manque d’infrastructures et d’un accès limité au marché, certains agriculteurs, comme Marco Antonio Lopez, se sont tournés vers l’élevage de bétail pour survivre.
Or, pour cela, il fallait défricher davantage de terrain forestier. «Nous avons déboisé 15 ou 20 hectares de nos propres mains, pour nos bêtes», admet-il, «non pas pour détruire la biodiversité, mais pour chercher à survivre».
Ils ont également assisté, impuissants, à la reprise de zones abandonnées par de nouveaux arrivants, qui ont déboisé des surfaces encore plus importantes. «Cela ne leur posait aucun problème de déboiser 700 à 1 000 hectares», explique Sandra, écœurée. «Ils coupaient tout, sans réfléchir, à travers la montagne.» Les conséquences ont été très vite perceptibles: «C’est à ce moment-là que nous avons commencé à ressentir la chaleur, à remarquer le changement climatique», ajoute-t-elle.
Sandra et Marco aspirent désormais à un avenir où ils pourront améliorer leurs conditions de vie tout en protégeant les forêts, et ce souhait est partagé par l’ensemble du pays. D’ailleurs, la Colombie a accompli des progrès considérables en matière de lutte contre la déforestation. Le pays a démontré que, entre 2015 et 2016, les taux de déforestation dans le biome amazonien avaient nettement diminué, ce qui a permis d’éviter l’émission de près de 7 millions de tonnes de CO2. Grâce à ces bons résultats, le pays a obtenu une enveloppe de 28,2 millions d’USD octroyée par le Fonds vert pour le climat (FVC) en 2020, afin de mettre en œuvre le projet connu dans le pays sous le nom de FVC-Vision Amazonia mené dans le cadre du REDD+ Colombia (programme de réduction des émissions causées par le déboisement et la dégradation des forêts). Mené par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Vision Amazonia vise à promouvoir la conservation et la gestion durable des terres dans les zones de déforestation rapide telles que celle de Mapiripan.
En Amazonie, le système sylvopastoral intègre des arbres et des arbustes dans les pâturages. Cela permet d’augmenter la capacité de stockage du carbone dans les arbres et les sols, de réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant du bétail et des engrais et de renforcer la résilience face au changement climatique. ©FAO/Felipe Rodriguez
Mené en coordination avec le gouvernement colombien et les communautés locales, le projet de la FAO, qui doit se poursuivre jusqu’en 2026, permet de protéger le biome amazonien grâce à la surveillance des forêts et à des pratiques de gestion durable, ce qui profite aussi bien aux petits exploitants et aux associations d’agriculteurs qu’aux autorités locales.
«En tant que communauté, nous avons déjà conscience du problème posé par la changement climatique. Aujourd’hui, lorsque nous allons travailler dans les champs, le soleil est si fort que nous ne pouvons plus résister à la chaleur. Nous avons réellement commencé à comprendre combien il nous est nécessaire de préserver ces magnifiques écosystèmes dont nous disposons sur le territoire», explique Marco.
«Si la forêt s’épanouit et que nous nous épanouissons, les animaux aussi», ajoute Sandra.
Les activités de déforestation libèrent du carbone dans l’atmosphère, ce qui alimente le changement climatique et aggrave les dégâts subis par les forêts. ©FAO/Felipe Rodriguez
«Grâce à ce projet», explique Mme Sandra Vanegas, coordinatrice de la FAO chargée des marchés locaux, «nous assurons la conservation des forêts, tandis que les familles génèrent des ressources dans le cadre de projets associatifs. Nous encourageons la création de jardins-forêts, où les familles peuvent produire des denrées destinées à leur propre consommation et conserver des semences et des espèces végétales endémiques».
De fait, les communautés de Marco et Sandra ont maintenant acquis une connaissance approfondie en matière d’agroforesterie, pratique d’utilisation durable des terres qui associe l’agriculture et la forêt. Dans le cadre de visites pédagogiques, ils ont pu observer de manière directe comment revitaliser leurs sols à l’aide d’engrais organiques et comment cultiver pour produire leur propre nourriture.
Marco se souvient que sa prise de conscience s’est faite progressivement en ce qui concerne son bétail. «À l’époque, nous ne savions pas qu’il ne fallait pas forcément disposer d’une grande surface de pâturages pour que nos vaches soient bien nourries», reconnaît-il. Il ajoute que l’initiative leur a permis d’en apprendre davantage grâce à plusieurs sessions de formation. Depuis, ils ont commencé à mettre en place des systèmes sylvopastoraux en plantant des arbres dans leurs exploitations familiales.
«Cette initiative nous a offert une vision plus générale, qui nous a aidés à prendre conscience des dégâts et des conséquences de la poursuite de la déforestation. C’est à ce moment-là que nous avons, en tant que responsables, adopté une position plus ferme visant à protéger la forêt.»
Ce nouvel état d’esprit les a conduits à créer l’association AGROSIARE, en vue de mener à bien des projets durables. Ainsi, ils s’emploient sérieusement à planter et à commercialiser le cacay, une espèce autochtone d’Amazonie connue pour ses fruits nutritifs. En suivant une formation en matière de droit et de gestion, ils ont rendu leur association plus à même de défendre la protection de l’environnement et l’amélioration des moyens de subsistance.
«Notre vision consiste à s’assurer que la richesse que représentent notre environnement et notre forêt tropicale est préservée par ceux d’entre nous qui vivent ici», déclare Marco.
Grâce à la collaboration avec les communautés rurales, le programme parvient à trouver des solutions efficaces et équitables en matière de climat et à offrir un avenir différent à l’Amazonie.
Les solutions axées sur les systèmes agroalimentaires sont aussi des solutions axées sur le climat, la biodiversité et les terres
Cet article fait partie d’une série en trois épisodes consacrée aux solutions mises en œuvre en Colombie en faveur du climat, de la biodiversité et de la préservation des terres. Ces récits vous transporteront des paysages arides de La Guajira, où le programme SCALA favorise la climato-résilience et la sécurité alimentaire, à la côte Pacifique, où le Fonds pour l’environnement mondial soutient un projet visant à préserver la riche biodiversité tout en contribuant à la promotion de la paix.
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