Droit à l'alimentation

Luis Planas, Ministre de l'Agriculture de l ´Espagne: "La durabilité environnementale est une exigence de la planète sans autre alternative possible"

Experts' corner - 18.06.2020

Luis Planas est Ministre de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation en Espagne, ainsi que membre du Groupe consultatif de Gestion de la FAO.

Planas souligne le rôle que la sécurité alimentaire et le droit à l'alimentation jouent dans nos vies, qui dépendent de la production d’aliments, comme le montre clairement cette  pandémie de COVID-19. Par conséquent, il doit être prioritaire de promouvoir l'accès à des aliments abordables compatibles avec une alimentation saine, suffisante, sûre et équilibrée.

Le secteur agroalimentaire est essentiel en Espagne, mais pas à n'importe quel prix. Le Gouvernement cherche à atteindre la durabilité dans "sa triple dimension économique, sociale et environnementale", qui est un "défi immédiat". La transformation des systèmes agroalimentaires doit être basée sur la promotion du melieu rural, l'innovation et l'inclusion, à travers la participation des femmes et des jeunes.


L'Espagne a une longue histoire de collaboration avec la FAO, étant ainsi un partenaire stratégique dans la lutte mondiale contre la faim et la pauvreté. En quoi cet engagement et cette coopération se sont-ils traduits? Quelles sont les perspectives pour l'avenir?

L'histoire de la collaboration de l'Espagne avec la FAO peut être définie comme l'histoire d'un étroit travail en commun de près de 70 ans.

La solidité de ce rapport s'est cimentée au fil du temps avec des actions de plus en plus engagées, du point de vue de soit l'efficacité soit du budget. À tel point que, actuellement, notre pays peut être considéré comme l'un des partenaires stratégiques de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

Depuis l’an 2000, l'Espagne a fait un effort économique de plus de 356 millions d'euros en actions de lutte contre la faim, d'accès à l'eau et aux terres agricoles, ainsi que pour la gestion durable des deux. Et, actuellement, le Ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation gère lui-même 12 contributions internationales destinées à différents programmes de la FAO pour plus d'un million d'euros.

Dans tous les cas, l'Espagne peut optimiser sa participation à la FAO et continuer à contribuer avec son expérience, son travail et son financement aux défis mondiaux dans les domaines de l'agroalimentaire dont elle est une référence, comme les technologies liées à l'irrigation, la pêche durable, cultures sous serre, agriculture de précision ou «smart farming», assurance agricole, développement local durable ou promotion de la participation des femmes aux organes de décision.

L'accroissement de notre présence dans cette organisation peut également contribuer aux relations internationales multilatérales - dont nous sommes de fervents défenseurs - grâce à notre situation géographique à côté de l'Afrique et à notre proximité culturelle et linguistique avec l'Amérique latine.

Selon les données de la FAO, 90% des pêcheurs opèrent à petite échelle et environ 80% des terres dans le monde sont occupées par des exploitations familiales. Dans le cas de l'Espagne, pourriez-vous nous décrire quelles sont les caractéristiques et les besoins des petits producteurs? Comment l’agenda des politiques alimentaires et du développement rural prennent-elles en compte vos besoins?

Dans le domaine de la pêche, notre flotte de pêche côtière et artisanale, composée de petits navires d’économie familiale, coexiste avec les grands navires-usines qui opèrent dans toutes les mers de la planète. La durabilité environnementale est désormais un signe distinctif de la pêche espagnole dans le monde, ce qui nous oblige, à présent, à promouvoir la durabilité d'un point de vue social et économique. Dans ce sens, le rôle de la FAO est essentiel pour garantir que le rôle de la pêche et de l'aquaculture ne soit pas dilué dans l'économie bleue. Pour cette raison, l’Espagne est prête à collaborer avec la FAO dans l’occasion que nous offre l’an 2022, qui a été désignée par les Nations Unies comme « l’Année internationale de la pêche artisanale et de l’aquaculture », pour donner visibilité à ce secteur.

Et, dans l'activité agricole, comme dans le reste du monde, l’immense majorité des exploitations appartiennent à de petites entreprises familiales qui constituent la base fondamentale de notre milieu rural.

Au total, le secteur agroalimentaire est composé de quelque 900 000 exploitations et de plus de 31 000 entreprises alimentaires. 80% d'entre eux ne comptent pas plus de 10 travailleurs, mais leur leadership sur les marchés mondiaux, leur contribution à la richesse et à l'emploi et leur statut de principale activité économique en milieu rural en font un secteur stratégique pour notre économie.

Globalement, le secteur agroalimentaire est composé d'environ 900 000 exploitations agricoles et de plus de 31 000 entreprises alimentaires. 80% d'entre elles ont tout au plus 10 travailleurs, mais leur rôle de leader sur les marchés mondiaux, leur contribution à la richesse et à l'emploi et leur condition de principale activité économique en milieu rural en font un secteur stratégique pour notre économie.

Le défi immédiat est de parvenir à sa durabilité dans sa triple dimension économique, sociale et environnementale.

D'un point de vue économique, nous venons d'adopter des modifications à la loi sur la chaîne alimentaire pour empêcher les ventes en dessous du coût de production et nous voulons promouvoir les organisations, notamment les coopératives, a fin d’augmenter le pouvoir de négociation et la compétitivité des producteurs.

La rentabilité économique des exploitations agricoles est une condition essentielle pour assurer la durabilité sociale du monde rural. Car, en somme, il s'agit de générer un niveau de vie adéquat qui soit attractif pour la population. Et, dans ce sens, je pense que des initiatives telles que la « Décennie des Nations Unies pour l'agriculture familiale 2018-2028 » favorisent les progrès en matière de développement de ce type d'exploitations familiales dans le monde.

La durabilité environnementale est une exigence de la planète sans autre alternative possible. L'Espagne, conformément aux objectifs de développement durable, à l'Accord de Paris et au Pacte Vert de l'Union européenne, est fortement engagée et intéressée par la lutte contre le changement climatique. Il s'agit d'un défi mondial qui exige une profonde transformation des systèmes alimentaires et agricoles mondiaux.

"Il s'agit d'un défi mondial qui exige une profonde transformation
des systèmes alimentaires et agricoles mondiaux".

La recherche, l'innovation et les nouvelles technologies nous offrent une excellente occasion de combiner ce double défi d'augmenter la productivité et la durabilité de l'agriculture. Par conséquent, il est absolument nécessaire, et en même temps imparable, encourager la numérisation pour promouvoir une agriculture économiquement viable, respectueuse des ressources et orientée vers le consommateur.

Le gouvernement espagnol est conscient de l'importance d’encourager  l'utilisation de nouveaux outils innovants et numériques dans le secteur agroalimentaire et dans le monde rural pour continuer à produire plus avec moins et pour faire face au défi du dépeuplement qui affecte une grande partie de notre territoire rural.

La jeunesse rurale est l'avenir de la sécurité alimentaire et d'une production plus durable. Cependant, il semble que peu de gens voient un avenir pour eux-mêmes dans les zones rurales. De même, les femmes font face à de nombreux obstacles lorsqu'elles tentent de gagner leur vie dans ce secteur. Quelles mesures l'Espagne prend-elle pour garantir des opportunités à ces groupes en vue d'un avenir avec un niveau de vie suffisant et une production plus durable?

Le milieu rural espagnol occupe 84% du territoire, mais n'accueille que 16% de la population. Par conséquent, notre milieu rural est exposé à une importante menace de dépeuplement et il est masculinisé et vieillissant, car les premiers à l'abandonner sont les jeunes et les femmes.

Dans la lutte contre de dépeuplement, nous sommes conscients qu'il est nécessaire d'attirer les jeunes hommes et les jeunes femmes en réduisant la fracture numérique et en construisant des territoires complexes, adaptatifs, efficaces, compétitifs et durables qui nécessitent une importante dimension financière. Dans ce sens, l'Espagne est un des pays de l'Union européenne qui a le plus misé sur l'initiative européenne pour une agriculture durable et compétitive (EPI-AGRI) à travers les Groupes Opérationnels pour l’Innovation.
 
"Dans la lutte contre de dépeuplement, nous sommes conscients
qu'il est nécessaire d'attirer les jeunes hommes et les jeunes
femmes en réduisant la fracture numérique".

À présent, nous avons une ligne financière, par le biais du Programme national de développement rural, pour promouvoir l'emploi grâce à des solutions innovantes dans le secteur agroalimentaire et dans le milieu rural.

En outre, le gouvernement espagnol a une «Stratégie de numérisation pour le secteur agroalimentaire et forestier et le milieu rural», pionnière au niveau européen, grâce à laquelle nous pouvons travailler pour réduire la fracture numérique, favoriser l'utilisation des données et encourager le développement des entreprises.

En ce qui concerne les femmes, nous considérons que leur rôle est fondamental dans les communautés rurales et ne peut donc pas être dissocié des politiques agro-alimentaires. Nous sommes un pays à l'avant-garde dans le monde en matière de reconnaissance de l'égalité des droits et nous avons intégré des actions positives, telles que la promotion de leur accès à la propriété des exploitations agricoles, afin de leur accorder une visibilité et, surtout, les droits qui leur correspondent, ainsi que l'intégration de la dimension de genre dans la nouvelle politique agraire commune (PAC). Et nous pensons que la FAO peut et doit jouer un rôle très actif pour assurer la participation des femmes dans tous les domaines de décision, non seulement en tant que productrices primaires, mais en tant que leaders de leurs communautés.

Depuis son lancement, le Pacte de Milan a été très bien accueilli en Espagne et des villes comme Valence ou Valladolid sont devenues des références. Comment cet intérêt croissant pour l'urbain peut-il favoriser une transformation en faveur de l'accès à une alimentation saine et durable pour toutes les personnes, une vie digne et le respect des droits de ceux qui produisent les aliments?

Je partage cet intérêt croissant de la société.

Il est bon que les citoyens, en particulier ceux des villes, se rendent compte et apprécient ce qu’implique la production d’aliments, dont dépend notre vie.

Un événement aussi malheureux, comme la pandémie provoquée par Covid-19, est devenu une opportunité pour la société urbaine de reconnaître le rôle essentiel de l'agriculture et de la pêche. Il faut promouvoir toutes ces valeurs qui combinent le besoin de produits sains et de qualité, du point de vue soit de la consommation soit de la production, avec une reconnaissance sociale et une rémunération équitable pour les petits entrepreneurs et les travailleurs agroalimentaires.

Ils sont également complémentaires à d'autres systèmes alimentaires, tels que ceux que, j’en suis convaincu, nous aurons l'occasion de vérifier lors du très important Sommet mondial sur les systèmes alimentaires prévu pour l'automne 2021.

Et permettez-moi de mentionner explicitement le travail du Centre Mondial de Valence pour l'alimentation urbaine durable, le CEMAS, et ses deux lignes d'action, qui sont menées en contact permanent avec la FAO: la gestion de projets, stratégies et actions pour l'alimentation durable; et sa diffusion et sa sensibilisation à travers des expositions, des congrès, de la diffusion de données et de contenus multimédias.

Dans tous les cas, comme exigé par la «Déclaration de Valence», une plus grande implication des administrations locales du monde entier est nécessaire dans les processus de discussion, de mise en œuvre et de lignes d'action sur les questions liées à l'alimentation, au changement climatique, à la lutte contre la faim, à la protection du petit producteur, à la souveraineté alimentaire, à la pauvreté et le gaspillage alimentaire.

Ces dernières années, nous avons noté non seulement une augmentation de la faim, mais également une croissance sans précédent du surpoids, de l'obésité et des maladies non transmissibles causées par une mauvaise alimentation. Cette situation pourrait être aggravée par les effets de COVID-19. Comment le gouvernement espère-t-il maintenir et renforcer de saines habitudes de consommation et de préparation des aliments, ainsi que l'accès à des aliments de qualité?

La pandémie provoquée par le coronavirus est un défi sanitaire mondial, mais elle met è l’épreuve également des secteurs essentiels tels que l'agroalimentaire. Comme la FAO elle-même l'a expliqué dans de nombreux forums, il est essentiel de maintenir le fonctionnement normal des systèmes et des chaînes et les échanges alimentaires.

La crise sanitaire a montré que l'Espagne a une "suffisance alimentaire", car nous avons réussi à maintenir la base productive tout en permettant un approvisionnement normal d’aliments abordables et compatibles avec un régime alimentaire sain, suffisant, sûr et équilibré.

Mais, précisément maintenant, la stagnation de la lutte contre la faim pourrait être exacerbée dans de nombreux pays non seulement en Afrique, mais aussi en Asie. Nous devons être très vigilants et faire tout notre possible pour que la lutte de la FAO pour le renforcement des moyens de subsistance basés sur l'agriculture ne soit pas ralentie par les conséquences de la pandémie.

L'Espagne est particulièrement active dans les domaines liés à la sécurité alimentaire et au droit à l'alimentation. Nous avons encouragé l'Alliance parlementaire espagnole contre la faim et la malnutrition et l'Observatoire du droit à l'alimentation, en plus d'avoir organisé, en octobre de l'année dernière, le premier Sommet Parlementaire Mondial contre la faim et la malnutrition.

Dans les pays développés, nous avons des problèmes différents. Il est particulièrement important d'observer de bonnes normes de comportement nutritionnel pour éviter l'obésité et la FAO l'a exprimé ainsi lors de ses appels publics à une alimentation saine pendant la pandémie.

Cela signifie non seulement maintenir les normes les plus élevées de sécurité et de qualité des aliments, mais également des habitudes correctes de conservation et de préparation domestique, ainsi qu'une alimentation saine, équilibrée, conforme aux besoins individuels, dont la Diète méditerranéenne est l'un de ses meilleurs représentants.

Partagez